Titouan R

Il était une fois dans une école, le petit Titouan R qui avait la bouche de travers. Tous l’appelaient justement « Titouan R à la bouche de travers » et ça lui donnait un air … sévère … amer … austère … pas fier.

Titouan R n’aimait rien sauf taper les filles dans la cour, taper les garçons, et quand tous s’étaient sauvés, qu’il ne restait plus que la maîtresse qui était trop grande et trop méchante, alors, il tapait les feuilles avec ses pieds, les arbres avec ses bras, les flaques quand il pleuvait et les flocons l’hiver.

Tout y passait.

Quand Roger s’approchait :

Eh ! Titouan R, tu veux jouer à faire l’hélicoptère ?

VLAN ! Il prenait une baffe !

Et quand Philibert demandait :

Titouan R, tu viens te rouler par terre ?

PAF!  Il prenait un marron !

Quand Corentin voulait juste lui prendre la main …

SPLASH ! il prenait un pain !

Et quand Anastase demandait gentiment le ballon …

BOUM ! Il prenait un gnon !

Personne, non personne n’échappait aux poings d’enfer de Titouan R, sauf la maîtresse car elle, on le sait, elle était grande et méchante.

Et puis un jour est arrivée Rosalie Ravioli, une fille de joueur de foot italien grand comme un camion debout.

Alors tout le monde a dit à Rosalie de ne pas approcher Titouan R.

Ah ! dit la fillette … Celui qui a la bouche de travers, comme mon père ?

Et puis elle est allée droit sur lui, tellement droit que Titouan R a reculé, reculé … jusqu’à se taper dans l’arbre de la cour. Tous les autres regardaient, Roger avec sa joue gonflée, Philibert avec son œil poché, Corentin avec son menton balafré, Anastase avec le nez enflé.

Ils voyaient déjà Rosalie prendre une châtaigne, une calotte, une patate.

Alors la petiote s’est plantée devant Titouan R, elle lui a souri et lui a collé un si gros baiser qu’il en avait la joue toute mouillée. Dégoûté, il a essuyé la bave de fille, il a tourné les talons et s’est caché dans les toilettes des garçons. C’est la maîtresse qui est allée le chercher pour rentrer en classe.

Cette nuit-là, Titouan R a fait d’affreux cauchemars. Une boîte de raviolis lui fonçait dessus à l’allure d’un camion debout trainant un ballon de football. Le pauvre enfant était attaqué et couvert de sauce, il en avait partout, dans le cou, sur les joues, ça lui coulait jusqu’aux genoux, hiboux, choux, cailloux … Il se réveilla en sueur hurlant : « Naaaaannnn ! Pas de bisous, enlevez-moi ces raviolis de là ! »

Le lendemain, la maîtresse changea les élèves de place, histoire de voir comment c’était d’être assis ailleurs.

Personne ne voulait se mettre à côté de Titouan R. Mais Rosalie alla voir la maîtresse et demanda à être sa voisine. « Es-tu sûre ? » demanda la maîtresse. « Oui je l’aime bien moi ! » répondit-elle. Et là, Titouan se mit à devenir rouge comme la pomme de Blanche Neige.

Rosalie a pris ses affaires et elle est venue s’assoir à côté de lui, tout près.

Tu vas voir Titouan, qu’elle a dit, on va devenir les meilleurs amis du monde …

Titouan R avait la bouche à l’envers, on aurait dit qu’il allait pleurer.

Si tu n’as pas tes affaires, je te prêterai les miennes.

Il a viré au vert.

Si tu n’as pas compris ce qu’a dit la maîtresse, je t’expliquerai.

Il est devenu tout mou, comme le ballon de la classe.

Tu sais, les autres ne t’aiment pas mais moi si. Je t’aime beaucoup …

Il a fermé les poings, on a tous eu très peur, et puis il s’est mis à tambouriner sur sa table en hurlant :

Mais je veux pas qu’on m’aiiiiiimeuh ! je m’en fiche de toi, t’es moche et en plus tu fais des bisous dégoûtants … Je veux être assis tout seul !!!

Et il s’est mis à pleurer.

La maîtresse est venue le consoler mais rien n’y faisait. Ses copains se sont approchés, il ne les a même pas tapés.

Rosalie est restée très calme.

Tu n’es pas obligé de m’aimer tout de suite tu sais, je comprends. J’attendrai …

Et elle a changé ses affaires de place pour aller à côté de Roger, qui du coup était un peu inquiet.

Finalement on a tous compris que ce qui avait vaincu le terrible Titouan R, c’était l’amour. L’amour d’une fille, ça vous ratatine un héros ! La vie de classe est devenue calme, et dans la cour, tout le monde a gardé ses dents. C’était presque ennuyeux. 

Avec le temps, il s’est même passé un truc incroyable : la bouche de Titouan R a commencé à se redresser. 

Et un lundi en arrivant à l’école, il a souri.