Le papillon se pose sur la branche, juste au-dessus du nez de Julien. La branche est à côté de son assiette, son assiette est sur la table de la terrasse, la terrasse est au soleil, derrière la maison, tout le monde est à table.
Papa cuit les saucisses, maman sert la purée, Julien fixe le papillon.
Un papillon c’est tellement beau, se dit-il. Celui-ci a les ailes bleues, avec des petits ronds dessus, et des rayures, toutes fines et… il s’envole.
– Tiens voilà ta saucisse mon grand !
Julien plante sa fourchette et prend son couteau, mais voilà qu’il revient, le papillon bleu. Il se pose, bat des ailes, une fois, deux fois, puis il ne bouge plus. Julien observe que les dessins sur ses ailes sont exactement les mêmes, symétriques dirait Monsieur Philbert. Il compte les petits ronds… un, deux de chaque côté… Et le bord est presque noir, un peu découpé comme…
– Julien, ta saucisse va refroidir.
« Ma saucisse, se dit le garçon en revenant à son assiette, elle est rose et noire, papa l’a encore brûlée ; avec la purée ça devrait passer ».
Mamie parle toute seule, le petit frère se tortille sur la chaise haute, le papillon revient. Il se pose encore sur la branche, la même, au même endroit, sans bouger. « Il veut que je le regarde se dit Julien, il est fier de ses jolies ailes, un peu comme moi quand j’avais reçu mon maillot de foot à Noël et que je voulais que tout le monde le voie ».
Le papillon se met à voleter tout autour du garçon.
Il est à droite, il est à gauche…, il a disparu ! le revoilà, il se pose … sur le rebord de l’assiette, tout près de la saucisse.
Julien sourit. C’est sûr, ce papillon là veut être son ami. Il faudrait lui donner un nom, un nom comme… Napoléon, parce que ça rime, et parce qu’il est beau comme un roi … euh un prince, non un empereur a dit Monsieur Philbert.
– Bon Julien, arrête de rêvasser, on va bientôt passer au dessert et tu n’as rien mangé.
– Je ne peux pas bouger maman, sinon Napoléon va partir.
Alors maman fait un truc chouette, elle s’approche tout doucement et le prend en photo. On dirait que Napoléon adore, car il ne bouge pas une aile. Ensuite elle prend la saucisse, et la met dans une autre assiette.
– Voilà dit-elle, vous avez chacun votre assiette. Mange maintenant.
Et elle embrasse Julien.
Et là le petit frère se lève de sa chaise haute, il emmène la nappe avec lui, la bouteille de vin se renverse, mamie pousse un cri et Napoléon s’enfuit.
Pour toujours…
