La peur

Alice a peur.

Quand elle a peur, elle ne sait plus bien ce qu’elle fait. Elle ne veut qu’une seule chose : c’est ne plus avoir peur. Alors elle ferme les yeux, très fort, et elle se répète à elle-même : « Le monstre n’existe pas ; le monstre n’existe pas. »

Mais le monstre revient toujours.

C’est quand elle dort qu’il s’invite, dans ses rêves. C’est toujours un peu la même histoire : elle joue dans la cour avec d’autres enfants, et puis vient l’heure de rentrer en classe. Une petite fille lui lance la balle une dernière fois. Mais la balle lui échappe. Le temps qu’elle aille la chercher, la cour est vide. Elle pense que les enfants sont rentrés, mais les couloirs sont vides aussi. Elle se précipite dans la classe et les voit tous assis, immobiles comme pétrifiés. Alors qu’elle se tourne vers la maîtresse, elle aperçoit le monstre, qui est assis au bureau. Il est vert et maigre avec de grands yeux ronds.

Et c’est là qu’elle se réveille. Parfois, comme elle crie, maman vient la consoler.  Parfois, elle se retrouve seule dans le noir de sa chambre, seule et terrifiée.

La nuit dernière, il s’est passé quelque chose d’étrange. Le monstre lui a parlé. Il lui a demandé qu’elle reste dans le rêve, qu’elle s’assoie à sa table et qu’elle fasse comme s’il était la maîtresse. Parce que c’est ce qu’il voulait : être maîtresse d’école. Il lui a promis que si elle le laissait être la maîtresse juste une fois, alors il partirait.

Alice a accepté. Elle est restée dans le rêve, s’est assise à sa table. Comme par magie, les autres enfants se sont animés ; ils ne semblaient pas voir que la maîtresse c’était le monstre. Tout se déroulait normalement, mais la classe était sens dessus dessous, parce que le monstre n’était vraiment pas doué comme maîtresse !

Le jour suivant, et encore celui d’après, Alice a fait le même rêve. Le monstre disait chaque fois qu’il partirait, mais il était encore et toujours là, lui demandant d’être sa complice.

La septième nuit, la petite fille refusa.

– Je veux retrouver ma maîtresse et mes camarades de classe, je veux que tu partes.

Au début le monstre essaya gentiment de la convaincre : « On s’entend bien tous les deux tu ne trouves pas ? »

Puis il supplia : « S’il te plait Alice, si tu refuses de me garder dans ton rêve, je serai malheureux. Que vais-je devenir ? »

Enfin il devint menaçant : « Si tu refuses, tu ne reverras jamais ta maîtresse, je la garderai prisonnière et les autres enfants aussi … Et je reviendrai dans tes rêves et même un jour je serai dans ta chambre. »

En disant cela, ses yeux devenaient immenses, si grands qu’ils semblaient vouloir avaler la petite fille.

Alice se réveilla en criant : « Non, je veux que tu partes !

C’est papa qui est venu la rassurer. Elle lui a tout raconté : l’histoire, le monstre, les cauchemars.

– J’ai bien essayé de faire ce qu’il voulait, expliqua-t-elle, il m’avait promis de partir mais il est toujours là.

– Tant que tu as peur Alice, il va rester. C’est ça qui le fait vivre, ta peur. Si tu ne fais plus attention à lui, tu verras, il partira.

– Tu crois ?

– La prochaine fois qu’il vient dans ton rêve, dis-lui non.

– Mais je lui ai dit l’autre fois, il insiste et il se fâche…

– Il le fait parce qu’il voit ta faiblesse et ta peur. Si tu dis un vrai non, plein de courage et de détermination, il partira.

C’est ce que fit Alice. Plusieurs nuits, elle dit non, et le monstre résistait, pleurnichait, grognait, tempêtait. Mais Alice tenait bon. Elle sentait en elle une force nouvelle et l’envie de retrouver sa vie d’avant, ses camarades, sa maîtresse, et ses nuits de sommeil.

Le monstre devint plus petit, presque fragile, il perdait de sa puissance. Il demanda encore un jour, « un dernier » dit-il.

Alors Alice le regarda sans colère et sans aucune peur. Elle lui dit « NON, rentre chez toi, ici tu es dans MON rêve ». Et il disparut.

Aussitôt la maîtresse entra dans la classe en disant :

– Voilà! je m’absente quelques minutes et je vous retrouve en train de bavarder… Sortez tous vos cahiers de mathématiques.

Alors Alice s’éveilla.