La muselière

On m’appelle Sissi.

J’habite un petit village calé entre deux collines. Près de ma maison il y a une épicerie et derrière, un petit restaurant. Dans la cour du restaurant il y a une vieille niche à laquelle est attaché Rocky, le chien du patron.

On l’a attaché parce que c’est un chien méchant. Maman dit qu’il est méchant parce que c’est un chien attaché.

Quand je pars à l’école, qui se trouve après le restaurant et juste avant la ferme, je dois traverser la cour. Chaque fois Rocky m’aboie dessus. Il me fait un peu peur, mais je lui dis : « Tout doux le chien ! »

Des fois, je fais le trajet avec mon ami Djibril qui habite à l’entrée du village. Djibril dit qu’il n’a pas peur de Rocky. L’autre jour, il s’est même arrêté devant lui. Le chien était furieux, mais Djibril s’est approché quand même. Alors Rocky a mordu sa chaussure. Le patron du restaurant a tout vu. Il a traversé la cour en criant après nous, il a pris un bâton, il a frappé le chien.

Djibril pleurait, pas pour sa chaussure mais à cause du patron qui frappait le chien et du chien qui gémissait de douleur.

 

Après ça, le patron est allé voir nos parents pour dire ce qu’on avait fait, et qu’à cause de nous, Rocky devrait porter une muselière.

Le lendemain, quand je suis passée, Rocky aboyait quand même malgré la cage qui lui serrait la gueule. Il semblait me dire : « Regarde ce que vous avez fait ! »

Le soir, j’ai dit à maman que ça me faisait de la peine, et j’ai pleuré. Alors Maman m’a consolée, en me disant qu’on lui retirerait bientôt la muselière et qu’un jour peut-être, Rocky serait détaché. Je sais qu’elle a dit ça pour que j’arrête de pleurer mais ce qui est incroyable, c’est que c’est arrivé !

Quelques jours plus tard, le patron a mis en vente son restaurant, et il ne voulait plus du chien. Le vieux Gégé, qui habite à la ferme, a dit qu’il acceptait de s’en occuper. Avec Djibril, on aime bien le vieux Gégé, on va le voir souvent quand il s’occupe des brebis. Il est très fort avec les animaux, on dirait qu’il sait leur parler.

On était là, le jour où il est venu détacher Rocky. Le patron et sa femme étaient partis depuis deux jours et le chien n’avait rien eu à manger. Le vieux Gégé est arrivé avec de la pâtée. Il a posé la gamelle par terre, et s’est assis à côté, mais pas trop près. Le chien aboyait au début mais il a senti la pâtée alors il s’est approché. Il a grogné sur Gégé mais il avait faim. Il a tout avalé en trois minutes.

– Ne bougez pas les enfants, a dit Gégé.

Il s’est frotté les mains avec de la pâtée qui lui restait et les a tendues vers le chien. Rocky lui a léché les mains, puis il est retourné dans sa niche. A un moment il est revenu et s’est assis tout près de Gégé. Nous on avait des fourmis dans les jambes à force de pas bouger. Ça a duré drôlement longtemps. Gégé s’est levé, le chien a dressé le museau, Gégé s’est approché, nous on a arrêté de respirer. Il est allé jusqu’à la niche, a détaché la chaîne et il a emmené Rocky avec lui.

Une fois dans son jardin, qui est juste derrière la ferme, Gégé lui a retiré le collier et puis il nous a dit :

– Allez les petits, sauvetage réussi ! c’est l’heure du goûter. Qui veut une tartine au beurre ?

– Moi, a dit Djibril tout content.

On est rentré dans le jardin, on a longé le mur et on s’est assis sur les marches, loin de Rocky qui nous observait. Quand Djibril est sorti avec sa tartine de beurre, il s’est assis à côté de moi. Rocky s’est approché tout doucement. Il est venu renifler Djibril et sa tartine. Djibril avait les larmes aux yeux.

– Pardon Rocky, je voulais pas qu’il te mette la muselière tu sais …

Et il lui a donné sa tartine. Le vieux Gégé lui en a fait une autre, et après on est rentré chez nous.

J’ai tout raconté à maman.

– Tu vois, tu avais raison, Gégé a détaché Rocky et il ne portera plus jamais la muselière.

Maintenant quand on va à l’école, on ne passe plus par la cour du restaurant. C’est moi qui vais chercher Djibril et on fait le tour du village. On passe derrière la ferme pour aller dire bonjour à Rocky et au vieux Gégé. Rocky garde les brebis.

Enfin, Gégé dit qu’il n’est pas vraiment fait pour ça mais qu’il a bien gagné sa place au soleil. Et c’est vrai, quand on passe, Rocky est toujours allongé au soleil.

Une vraie vie de chien !