Madame Limace se traîne ce matin. Elle d’habitude si joyeuse, si pétillante, a bien du mal à suivre ses congénères au potager
– Alors tu arrives ? Elles ne vont pas nous attendre toute la journée les salades ! Attends que le jardinier nous repère et on n’aura plus qu’à partir en rampant à toute vitesse.
Mais elle s’en fiche. De toutes façons, elle n’a pas faim. Les salades ne lui font pas envie.
Madame Limace déprime.
– Va voir quelqu’un lui conseille une amie.
– Pour quoi faire ?
– Pour parler. Tu as besoin de parler à quelqu’un. Ce n’est pas normal cette envie de rien.
Elle décide d’aller voir le professeur Hérisson. Elle est un peu intimidée, c’est un grand spécialiste de l’état dépressif chez les gastéropodes, reconnu de tous, dans le bois de Pompon.
– Bonjour Madame Limace, que vous arrive-t-il ?
– Bonjour Professeur Hérisson, je viens vous voir sur le conseil d’une amie, car ces derniers temps je n’ai plus envie de rien.
– Bien, bien, parfait ! dit le professeur en grattant ses piquants. Et depuis quand exactement ?
– Je ne sais pas vraiment. J’allais bien, et puis c’est arrivé d’un coup : plus envie de danser, plus envie de manger, même plus envie de voir mes amis.
– Il y a forcément eu un élément déclencheur ! réfléchissez …
– Et bien oui, maintenant que j’y pense, il y a ce cerf l’autre fois qui m’a traitée avec dédain. De toute sa hauteur, il m’a regardée comme si je n’étais rien. Il a dit que personne n’aurait envie de me manger, tellement j’étais laide et sans intérêt.
– Il a dit ça vraiment ? Ce n’est pas très gentil et voyez, je ne suis pas du tout de cet avis. Moi j’adore les gastéropodes !
Le professeur se frotte le ventre, sentant comme une petite faim tout à coup.
– C’est gentil Professeur, vous me rassurez, car voyez-vous, depuis ce jour, je me sens tellement inutile …
Le hérisson s’empresse d’ajouter :
– Soyez sûre que vous n’êtes pas inutile et que vous finirez bien par régaler quelqu’un.
– Vous croyez ? Vraiment Professeur vous me flattez …
– Je pense que vous souffrez d’un grand manque d’estime de soi.
– D’estime de soi ?
– Et bien, en résumé, vous ne vous aimez pas suffisamment.
– Ah vous croyez ? Et comment puis-je m’aimer davantage ?
– Ce n’est pas si simple. Avez-vous vécu des moments difficiles dans l’enfance ?
– Oh oui ! A l’école, j’étais celle qui courait le moins vite, les autres se moquaient sans arrêt. J’étais toujours la dernière. On m’appelait la baveuse. Une autre fois on m’a confondue avec une crotte de renard. Une autre fois encore j’ai entendu le jardinier dire qu’il allait toutes nous exterminer. Vous rendez-vous compte professeur, cette violence !
– Oui je comprends. Alors que moi, je peux vous dire madame Limace que vous êtes une tendre personne. Le simple fait de vous voir, là devant moi, me donne envie de vous … serrer tout contre moi. Et votre couleur, ce joli noir luisant … Ah madame Limace, vous êtes absolument charmante, aimable et votre vue est un enchantement.
– Je me sens tellement mieux tout à coup professeur. Vraiment merci !
La limace sent qu’il est temps de partir.
– Je vous dois quelque chose Professeur ?
– Mais non ma chère, vous me payerez plus tard, quand nous nous reverrons. D’ici là mangez, buvez et portez-vous bien ! Personne n’aime voir un gastéropode triste et maigrichon. Promis ?
– Oui promis !
– Alors, lui demande son amie au retour de la consultation, tu te sens mieux ?
– Oui je suis guérie. Totalement guérie !
– Mais c’est fantastique, raconte !
– Et bien le cerf a dit l’autre fois que personne n’aurait envie de me manger. Et je crois que ça m’a profondément blessée. Mais avec le professeur Hérisson j’ai compris que j’étais tout à fait appétissante …
– Ah et alors ?
– Alors je suis partie très vite !
