Leila sort de sa poche un mouchoir dans lequel elle a enveloppé deux biscuits. Elle en donne un à Astrid et croque le second.
Tout à coup, le ballon des garçons passe entre elles, à la vitesse de l’éclair et emporte dans sa trajectoire, le biscuit qu’Astrid s’apprêtait à manger.
– Non ! mais Lucas, regarde ce que tu viens de faire…
– Oh la pauvre chérie… répond le garçon, vous n’avez qu’à vous mettre ailleurs.
Leila se plante devant le garçon :
– Tu pourrais au moins t’excuser Lucas !
Mais il est déjà parti.
– Grrr ! je vais le …, il m’énerve cet insupportable euh …, il va voir ce qu’il va voir !
De retour dans la classe, Leila passe près de la table de Lucas, et balaie de la main toutes ses affaires. Le cahier, la trousse, les lunettes se retrouvent par terre. Lucas ne dit rien, il ne veut pas que la maîtresse s’en mêle. Il ramasse ses affaires, s’assoit et écrit quelques mots sur un bout de feuille de son cahier de brouillon, puis il le fait passer de table en table jusqu’à Leila.
« Tu va voir, t’inkiète, je vais pas te raté ».
Leila prend un feutre rouge, un bout de cahier d’exercices et répond : « Si tu crois que tu me fais peur ! ».
Elle le plie en huit et le tend à Astrid, qui le donne à Théo, qui le porte à Rémi qui le lance à Lucas, qui le rate, qui le rattrape et se fait repérer par la maîtresse.
– Lucas, je peux savoir ce que tu fais ?
– Rien Madame, c’est Rémi qui m’envoie sa gomme, j’ai oublié la mienne…
Et justement, alors que la maîtresse regarde ailleurs, il lance sa gomme et vise la tête de Leila. Mais à cet instant, elle lève la main, la gomme rebondit sur son poignet, ricoche sur la table de Mattéo et atterrit dans l’œil de Mélanie qui se met à crier de douleur.
La maîtresse se retourne, et assez rapidement, parce que c’est une maîtresse et qu’elle a un peu l’habitude, elle comprend ce qui s’est passé.
– Leila et Lucas, vous viendrez me voir à la récréation. Mathilde, accompagne Mélanie à la cantine et demande-leur de la glace pour son œil. Lucas, veux- tu bien venir corriger cet exercice au tableau ?…
C’est l’heure de la récréation. Lucas et Leila sont tous deux face à la maîtresse.
– Que s’est-il passé ? demande-t-elle
– C’est lui qui a commencé…dit Leila boudeuse.
– C’est même pas vrai ! répond Lucas.
La maîtresse, qui pressent que la discussion va être longue, les interrompt :
– Je vous demande de vous excuser l’un l’autre. J’attends….
Lucas regarde par la fenêtre et voit le ballon de foot voler à travers la cour. Il a bien envie d’aller jouer.
– Bon pardon…
– Pardon qui ?
– Leila …
– A toi Leila, dit la maîtresse.
– Non !
– Il t’a demandé pardon…
– Je ne pardonne pas, et je ne lui demande pas pardon!
– Bien jeune fille, alors pour demain, tu chercheras la définition du mot « pardonner » dans le dictionnaire, puis tu écriras une lettre dans laquelle tu expliqueras pourquoi tu ne veux pas pardonner ; nous en discuterons lors de notre conseil d’élèves. Quant à toi Lucas, tu vas faire la même chose et tu expliqueras pourquoi tu as choisi de pardonner. Allez ouste, dehors !
Lucas part en courant, il bouscule Leila et la maîtresse, se prend les pieds dans un cartable, manque de tomber, se rattrape au porte-manteau et va retrouver ses copains dans la cour.
Le lendemain après-midi, la maîtresse demande aux élèves de mettre les tables en rond pour le conseil des élèves.
– Nous allons aujourd’hui parler du pardon. Quand quelqu’un nous fait du mal ou de la peine, est-ce qu’on peut pardonner ou pas, et pourquoi ? Lucas pourrais-tu déjà nous donner la définition du mot « pardonner »?
Lucas sort son cahier. Il lit :
– Pardonner, c’est renoncer à punir et décider de ne pas se venger.
– Bien ! est-ce que tu veux lire ton texte s’il te plait et nous expliquer pourquoi tu as demandé pardon à Leila ?
Lucas commence : » Je lui ai demandé pardon parce que sinon, j’allais passer toute la récréation dans la classe et en plus ça ne sert à rien de se fâcher, j’ai pas fait exprès, alors que Leila, elle, elle a fait exprès de mettre mes affaires par terre mais je ne lui en veux pas. »
– Bien, merci Lucas. Leila, c’est ton tour de lire.
Leila se lève, fait un petit signe de tête à Astrid, regarde Lucas droit dans les yeux, et commence sa lecture.
» Hier, j’ai refusé de demander pardon à Lucas, parce qu’il méritait que je jette ses affaires par terre. Il est sans arrêt en train d’embêter tout le monde, et surtout les filles. Je ne veux pas lui demander pardon. Mais moi, je le pardonne. Parce que si je ne le fais pas, je resterai en colère après lui. Et je préfère penser à autre chose et m’amuser avec mes amis. Si je pardonne Lucas c’est pour me sentir bien. C’est pour moi que je le fais, pas pour lui. »
Et très fièrement, Leila plie sa petite feuille et se rassoit.
– Bien, bien, dit la maîtresse, c’est une réponse honnête. Qui veut donner son avis ? Je vous rappelle : on lève la main, on ne coupe pas la parole et on respecte l’avis de ses camarades.
Leila et Astrid échangent un clin d’œil complice, et Leila montre sa poche, d’où elle sort discrètement un mouchoir renfermant deux biscuits.
