L’invisible Gédéon

Dans la grande communauté intergalactique il y a de tout : des petits hommes verts, des grands mutants bleus, des femmes guerrières, des robots à tête d’artichaut, des humains, des êtres de lumière et même des invisibles …

Les invisibles sont les plus discrets mais aussi les plus farceurs. Ils n’ont pas de planète, ils explorent celle des autres et la planète qu’ils préfèrent c’est la Terre.

D’abord c’est la plus jolie : ses océans, ses volcans, les animaux et la végétation luxuriante, tout cela n’existe nulle part ailleurs. 

Ensuite c’est la plus confortable : pas trop chaud, pas trop froid (on peut repérer un invisible quand il éternue), pas trop de pression, l’atmosphère y est parfaite. 

Enfin c’est sur la Terre qu’on s’amuse le plus car les humains ne voient rien et ils ne savent pas se servir de leurs antennes (l’intuition, le feeling, les cellules qui pétillent, les petits voyants du cœur qui s’allument). 

Tous les peuples de la galaxie ont appris depuis longtemps à les utiliser, mais les humains non. Ils croient seulement ce qu’ils voient. Ce qui permet aux invisibles de faire toutes sortes de vilaines blagues.

Gédéon est un invisible. Il s’est installé chez les Moldus et leurs deux garçons Gus et Léon.

 

A son arrivée il a eu un peu de mal à trouver sa place. Il a commencé par dormir sur le canapé du salon mais cet imbécile de chat le sentait et miaulait sans cesse. Ensuite il a essayé le bac à légumes du frigo, trop froid, la baignoire, trop humide, le tapis dans la chambre des parents, mais le père Moldus ronflait comme une soucoupe volante de la première génération.

Il a fini dans la chambre des enfants, dans la grande penderie entre les manteaux et le tiroir à chaussettes (les invisibles n’ont pas d’odorat).

L’ennui c’est que très vite, le petit Gus l’a repéré.

Il faut dire que Gédéon s’en donnait à cœur joie : Il tirait les moustaches du chat, chatouillait le nez de la mère devant la télé, arrêtait la machine à laver, claquait les portes, allumait les lumières.

Tous les soirs, les Moldus se disputaient.

– Tu ne peux pas éteindre la lumière quand tu remontes de la cave ? disait la mère au père.

– Mais je l’ai éteinte !

– Et ben non !

– Mais si !

– Mais non !

Ou alors :

– Qui a renversé le lait du chat il y en a partout ? disait le père aux gosses. Gus !

– C’est pas moi !

– Léon !

– C’est pas moi non plus !

– Bien sûr, c’est personne !

Sacré Gédéon !

 

Mais un matin, alors qu’il souffle dans les cheveux de Gus pour le chatouiller, le petit garçon ouvre soudainement les yeux et lui dit :

– Je sais que tu es là !

– Hein … répond Léon. Oui je suis là, où veux-tu que je sois ?

– Non pas toi !

– Ah … qui alors ?

– Lui !

– Lui qui ?

– Le fantôme …

« Non d’un petit bonhomme vert, se dit Gédéon, il me traite de fantôme je rêve … »

– Un fantôme Gus, tu es sérieux ? N’importe quoi ! dit Léon.

– Je te dis qu’il est là en ce moment. Il m’a soufflé dans les cheveux, il fait des tas de blagues débiles depuis des jours.

« Des blagues débiles… C’est pas gentil ça ! »

Gédéon n’est pas content. Il prend une couleur bleutée (les invisibles sont très émotifs). 

– Je te vois maintenant ! dit Gus. 

« Il me voit ! Nom d’un Vénusien à deux têtes … »

Gédéon réfléchit un instant. « Peut-être que c’est une bonne chose. J’ai toujours rêvé de me faire un ami humain ! »

Il dit une ecto-phrase (une phrase-pensée perceptible) :

– Bonjour je m’appelle Gédéon. Est-ce que tu m’entends ?

– Oui, moi c’est Gus, je te reçois cinq sur cinq.

« Celui-là a des antennes ! Génial ! »

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? dit Léon.

– Je lui parle … répond Gus.

– Je suis un invisible.

– Tu n’es pas un fantôme ? 

– Non, je suis un extra-terrestre de la grande communauté intergalactique. J’aime bien venir sur Terre pendant mes vacances.

– Ça alors ! 

– Quoi ? demande Léon.

– Il dit qu’il est un invisible … 

– Sans blagues !

– Oui, il n’est pas un fantôme … 

Léon rit :

– Tu as des amis imaginaires maintenant …

Gédéon perd patience, il balance l’oreiller de Gus à la tête de Léon.

– Qui a fait ça ? demande Léon ahuri.

– C’est Gédéon, répond Gus.

– Qui ça ? 

– L’invisible ! 

Léon tient sa tête et son ventre.

– Bon, je vais prendre mon petit déjeuner, je ne me sens pas très bien ce matin …

Il sort de la chambre et Gus peut entendre Gédéon rire aux éclats. 

– Ce n’est pas gentil l’invisible !

– Peut-être mais qu’est-ce que c’est drôle ! C’est pour ça que je viens sur Terre c’est la planète où on se marre le plus … 

– Eh bien je te laisse alors. Puisque tu aimes te moquer… lui répond Gus. Mais sache que je te vois, et je ne te laisserai pas embêter mon frère, ni mes parents d’ailleurs, et même mon chat !

– Non attends …  J’aime bien que tu sois mon ami. Je te promets, je ne ferai plus de blagues … 

Gus réfléchit un instant. Avoir un copain invisible, c’est plutôt chouette. C’est même ultra chouette !

– J’ai une idée ! puisque tu veux faire des blagues, je connais un endroit parfait. Viens avec moi, je sens qu’on va beaucoup s’amuser.

– Je te suis, répond Gédéon enthousiaste.

Alors Gus amène son nouvel ami à l’école. 

 

Sur le chemin, Gus explique à Gédéon ce qu’est l’école.

– Il n’y a pas d’école sur ta planète ?

– C’est pour quoi faire l’école ?

– Bah pour apprendre …

– Nous on apprend tout le temps, pas besoin d’aller quelque part …

– J’aimerais bien que ce soit comme ça aussi chez nous. Bon il faut que je t’explique, celui à qui tu peux faire des blagues, c’est le maître. Il n’aime pas les enfants, et nous on l’aime pas non plus. Et aussi tu peux embêter les filles, ça sera drôle …

– D’accord !

Les passants se retournent sur le passage de Gus. Le garçon a l’air de parler tout seul.

Enfin ils arrivent devant l’école. Gus salue la directrice en franchissant la grille.

– Bonjour Madame Lucet !

– Bonjour Gus !

– Elle, je peux lui faire une blague ?

– Non Gédéon, attends !

 – Pardon, tu veux me dire quelque chose Gus ?

– Non Madame Lucet, je me parlais à moi-même !

– Allez dépêche-toi, ne sois pas en retard, la classe t’attend sous le préau.

Tous les élèves sont déjà en rang, Gus est le dernier. Le maître le regarde arriver.

– Alors Gus, les règles sont les mêmes pour tous ! puisque tu es en retard de trois minutes, tu auras cinq minutes de moins en récréation tout à l’heure.

– Oui Monsieur Sourdeau, désolé d’être en retard.

Pendant le cours de grammaire, Gus n’a plus de nouvelles de Gédéon. Tout est calme.

C’est au moment où le maître demande aux élèves de sortir les livres de sciences que la lumière s’allume.

Gus sait qu’il s’agit d’une blague de Gédéon.

Le maître s’approche de l’interrupteur, mais la lumière s’éteint.

Il retourne à son bureau puis donne le numéro de la page du livre de sciences et alors la lumière se rallume.

Le maître marmonne quelque chose, se lève et va vers la porte pour éteindre, mais il arrive trop tard, la lumière s’est éteinte.

Il reste muet devant l’interrupteur, l’actionne plusieurs fois – tout fonctionne – et retourne s’assoir ; ça s’allume. Là les élèves commencent à rire. Personne n’y comprend rien mais quand même, c’est drôle. Le maître s’énerve :

– Taisez-vous ! Ouvrez vos livres au chapitre 4. Nous allons étudier les circuits électriques.

A peine a-t-il prononcé ces mots que les ampoules de la classe et du tableau se mettent à clignoter en même temps. Monsieur Sourdeau est abasourdi. Les élèves rient de plus belle et Gus remercie en pensées son ami farceur.

Alors le maître sort de la classe quelques minutes et revient d’un air satisfait.

– Voilà le problème réglé, je suis allé débrancher l’installation au compteur, nous appellerons l’électricien. Je disais donc ouvrez vos livres à la page 42 et voyons ensemble la leçon.

Les livres sont ouverts sur les tables mais celui de Clara se ferme d’un coup. La fillette pousse un cri.

– Clara, qu’est-ce qu’il te prend ?

– Mais Monsieur Sourdeau, c’est mon livre, il s’est refermé tout seul !

– Ne dis pas n’importe quoi ! Tiens commence donc à lire le premier paragraphe.

La petite fille se met à lire, quand un autre livre se referme bruyamment, puis un autre qui tombe par terre et encore un. Les élèves poussent des cris de surprise, et se lèvent d’un bond, repoussant les tables. Le maitre se met à crier :

– Ça suffit ! Ah vous voulez vous amuser ? Je vais vous amuser moi …

En disant cela, il se précipite vers le tableau pour prendre son livre. Il butte contre l’estrade, perd l’équilibre, essaie de se rattraper à l’angle du bureau, le livre tombe et le maître avec.

Plus personne ne rit.

Monsieur Sourdeau se relève tenant son dos, prend son manteau, sort de la classe et ne réapparait plus.

Gus entend Gédéon qui rit à ses côtés.

– Arrête Gédéon, c’est pas drôle !

 

Sur le chemin du retour, Gus ne dit rien.

– Tu n’es pas content ? Tu m’avais dit que je pouvais faire des blagues avec ton maître …

 – Oui c’est vrai, mais à la fin le pauvre, il est quand même tombé. Tu te rends compte, il doit se dire qu’il est fou …

– Bah on peut aller chez lui, je vais arranger les choses si tu veux.

 – Surtout pas ! Je crois que tu en as assez fait.

 – Là tu n’es pas juste ! Les enfants ont bien ri tout de même.

 

 

De retour à la maison, Léon attend son frère.

 – Mais qu’est-ce qu’il s’est passé dans ta classe aujourd’hui ?

 – Oh rien, répond Gus un peu embêté, Monsieur Sourdeau ne se sentait pas très bien …

 – On m’a raconté que les livres volaient, que les lumières clignotaient …

 – N’importe quoi Léon! Faut pas croire tout ce qu’on te dit.

 – Allez petit frère, ne me prends pas pour un idiot, je sais que c’est ton invisible !

 – Gédéon. Il s’appelle Gédéon.

 – Il est avec nous là ?

Léon regarde tout autour de lui.

 – Tu veux pas lui demander s’il veut bien venir dans ma classe aussi ?

 – Demande-lui toi-même. Il t’entend.

 – Ah ok mais moi je ne suis pas comme toi, je ne le vois pas…

 – Normal je suis invisible !

 – Moi non plus, il est invisible !

 – Alors comment fais-tu Gus ?

 – Je ne sais pas, je sens sa présence. Et j’entends sa voix.

 – Tu pourrais m’apprendre à sentir sa présence ?

 – Attends mon petit Léon, je vais t’aider à sentir ma présence …

 – Il dit qu’il va t’aider à sentir sa présence, répète Gus.

Et le coussin du canapé se met à voler… Léon rit.

La mère arrive.

 – Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ?

 – Euh rien maman, Léon et moi on fait de la magie, dit Gus.

A ce moment-même, les deux frères se regardent d’un air entendu.

 – On voudrait devenir des magiciens.

 – On s’appellera « Les fantastiques frères Moldus » !

 – Et moi les gars ? Je suis quand même la vedette !

 – Tu as raison : « Les fantastiques frères Moldus et l’invisible Gédéon » !

La mère répond :

 – En attendant, les fantastiques, vous n’auriez pas des devoirs à faire ?

La lumière s’éteint soudainement. Toute la maison est dans le noir.

 – Zut ! dit Gus, on va pas pouvoir commencer tout de suite.

 – Oui zut ! ajoute Léon, nous voilà bien embêtés !

 – Et re-zut ! dit Gédéon, on n’a qu’à faire une bataille de coussins en attendant … 

Alors Gus monte sur le canapé et claironne :

 – Mesdames et Messieurs, ce soir « Les fantastiques frères Moldus et l’invisible Gédéon » vont vous présenter le tour prodigieux des coussins volants !