En colère

Lucas s’est fait gronder ce matin. Il se fait gronder tous les matins : parce qu’il ne se dépêche pas assez, parce qu’il oublie ses affaires, parce qu’il joue, au lieu de s’habiller …

Lucas n’aime pas l’école. Il n’aime pas rester assis toute la journée, il n’aime pas le calcul et la grammaire et il n’aime pas les filles …

Aujourd’hui c’est lundi, c’est encore pire le lundi. Papa le dépose devant la grille, lui dit « au revoir et sois sage pour une fois ! », Lucas répond « oui salut ! », passe devant la directrice « Bonjour madame ! », jette son cartable dans la cour.

« Passe la balle Rémi, passe … ».

Rémi n’a pas entendu, il essaie un tir et le rate. Lucas s’emporte : « Mais je t’avais dit de me passer le ballon tête de veau ! » …

– Bonjour Lucas tu vas bien ? lui dit Rémi en souriant.

Rémi n’est pas fâché, il connaît son ami, un sacré caractère !

– Pardon Rémi, je me suis laissé emporter.

Les deux garçons se remettent à jouer avec les autres et puis très vite c’est l’heure de rentrer en classe.

Lucas se sent triste et en colère. Il ne veut pas lâcher le ballon, il ne veut pas aller s’assoir et il n’a pas fait ses devoirs. 

En passant la porte, il s’aperçoit que ce n’est pas sa maîtresse qui est assise au bureau.

« Mais c’est qui celui-là ? » se demande-t-il.

La réponse ne tarde pas :

– Bonjour les enfants, je suis Monsieur Boléro et je remplace votre maîtresse qui est malade. Comme elle n’a pas pu me transmettre le travail, je vais devoir improviser.

Le maître sort sa guitare. Tout le monde a les yeux ronds.

– Qui connaît cet instrument ?

– C’est une guitare dit Lucas.

– Pense à lever la main mon garçon pour répondre, mais oui tu as raison c’est une guitare. Est-ce que tu en joues ?

– Non mais mon grand-père oui.

– Et que joue-t-il ton grand père ?

– Euh des chansons … Il y en a une que j’aime bien qui dit : « Quand on est con, on est con ! ».

Toute la classe se tourne vers le maître, certaine que Lucas va se retrouver encore une fois chez la directrice. Mais le maître rit.

– Oui je la connais aussi cette chanson. C’est de Georges Brassens, un chanteur et poète du vingtième siècle qui avait un sacré caractère.

– Comme Lucas ! dit Leila

– Tais-toi pauv’ cloche, on t’a pas sonnée ! répond le garçon.

– Allons, allons les enfants.

– Mais Monsieur, demande Mattéo, ce Georges euh …

– Brassens, répond le maître

– Oui Brassens, et bien il ne peut pas être un poète, un poète ça ne dit pas des gros mots !

– Parfois un poète peut utiliser des mots du langage familier, et même des gros mots.

Le maître entonne la chanson :

        « Moi, qui balance entre deux âges
          J’leur adresse à tous un message

          Le temps ne fait rien à l’affaire
          Quand on est con, on est con
          Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père
          Quand on est con, on est con… »

 Puis il s’arrête et demande :

– Que veut dire Georges Brassens ?

– Il dit que quand on est bête, qu’on soit jeune ou vieux, on reste bête dit Rémi.

– Oui tout à fait d’accord ! dit Leila en regardant Lucas.

– Moi je ne suis pas d’accord dit Astrid. Parfois on est … euh comme vous dites, parce qu’on n’est pas heureux, parce qu’on pense que les autres ne nous aiment pas, ou alors qu’on aimerait bien être ailleurs …

– Oui je suis d’accord dit Matteo. Quand on est heureux on est gentil et des fois quand on est triste ou fâché on devient méchant avec les autres …

– Ça dépend répond Rémi, il y a des gens heureux qui sont idiots.

– Mais est-ce que « con » c’est comme idiot ? demande Mélanie

– Toi par exemple tu es idiote, ricane Lucas …

Le maître interroge Lucas :

– Et toi, à part te moquer, quel est ton avis ?

Son avis ? Mais personne ne lui a jamais demandé son avis. Lucas se sent très mal à l’aise, il se met à rougir, il sent la colère monter, ou est-ce que c’est de la tristesse ? ça monte tellement fort qu’il sent qu’il va pleurer. Et il explose. 

– Mon avis c’est que vous êtes tous des cons !

Il se lève et sort de la classe en claquant la porte. Le maître se sent tout bête avec sa guitare. Il la pose doucement sur le bureau, demande aux élèves de prendre leur cahier de chansons, et sort à son tour.  Il trouve Lucas , assis par terre sous les porte-manteaux et qui pleure. 

– Tu peux être en colère, tu peux montrer que tu es en colère ou le dire, mais tu ne peux pas t’en prendre aux autres. Quand tu seras prêt tu viendras t’excuser auprès de tes camarades. 

– Ça non, jamais ! 

– Bon alors je te garde pendant la récréation. Nous continuerons à discuter. 

Le maître et l’élève retournent en classe. Le maître reprend sa guitare et propose une nouvelle chanson, sans gros mots cette fois. Puis c’est l’heure de la récréation, les élèves sortent et Lucas reste à sa table sans rien dire. Le maître lui demande : 

– Pourquoi est-ce si dur de t’excuser ? 

– C’est toujours à moi de m’excuser.

– Peut-être que c’est toi qui te comportes mal ?

– Peut-être mais je m’en fiche. Moi j’ai pas envie d’être ici. 

– Et où voudrais-tu être ? 

– Chez moi.

– Et que ferais-tu chez toi ?

– Je sais pas mais je serais tranquille …

– Je vois que tu es en colère ; est-ce que tu le vois toi aussi ?

– Oui …

– Est-ce que tu sais pourquoi tu es en colère ? 

– Parce que je ne veux pas aller à l’école et que je suis obligé, parce que mon père veut que je sois sage mais j’y arrive pas, parce que tout le monde me déteste.

– Ce n’est pas vrai, tu as des amis.

– J’ai un seul ami c’est Rémi. 

– C’est beaucoup un ami … Puisque tu ne peux pas le dire, voudrais tu l’écrire au tableau que tu t’excuses ? 

– Et je retourne jouer au foot ?

– Oui.

Lucas prend le feutre et écrit : « Je m’excuse, désolé, j’étais en colère. »  Et il sort. 

En rentrant, les élèves voient le mot de Lucas. Lui n’ose pas lever les yeux. Et il entend une voix derrière lui, celle d’Astrid qui dit : 

– Ça arrive à tout le monde Lucas d’être en colère. On t’en veut pas. 

Lucas pense qu’elle est énervante cette Astrid à être toujours si gentille.

Monsieur Boléro demande de sortir les cahiers d’expression écrite. Les élèves s’exécutent calmement.  Il note au tableau :

« Et si on pouvait tout changer ! Raconte ce que tu imagines. »

Lucas réfléchit.

Oui, il a bien des choses à dire cette fois !

La rédaction de Mattéo | Histoires courtes à lire