L’effondrement

Dans le bois de Pompon, il y a une vieille taupe, très gentille, mais affreusement maniaque. Elle est restée célibataire car elle ne voulait ni mari, ni enfants : trop bruyant, trop salissant, trop fatigant !

Ce matin, la taupe fait son ménage. La voici qui pousse la terre par-ci, pousse la terre par-là ; un petit tas bien propre à droite ; un monticule bien fait à gauche. On dégage la galerie, on arrange la chambre, on nettoie la cuisine.

Quand tout à coup: Baoum ! Spatch ! Crrrrrrchhh …

Eboulis, éboula, la terre s’effondre!

La taupe se retrouve coincée entre le four et le placard à balai, la tête en bas, la queue en l’air, sans ses lunettes.

« Bon sang de bon sang, nom d’une taupe à poils longs ! Quel est l’imbécile d’animal poids lourd qui a fait ça ? »

Très agile, la taupe agite ses petites pelleteuses qui lui servent de pattes, déblaie la sortie et montre son museau furieux.

Évidemment elle ne voit pas grand-chose, mais la taupe a un odorat puissant et ce qu’elle sent là, tout près, c’est la crotte fumante de ce petit marcassin mal élevé. Elle lui avait bien dit pourtant de ne pas passer au-dessus de chez elle en courant. Mais ce garnement n’écoute rien.

La taupe décide que c’en est trop et part voir la famille sanglier.

– Madame Laie, ton marcassin est un vaurien !

– Pardon ? dit la laie en grognant.

– Tu as bien entendu, ce petit cochon a fait s’effondrer ma maison.

– Tu traites mon fils de cochon ?

– Tout à fait !

– Mais ma douce, intervient le sanglier, elle a raison, nous sommes des cochons …

– Toi, on ne t’a pas sonné, répond la laie agacée.

Il insiste :

– Oui mais nous sommes tout de même des cochons.

– Excusez-moi de vous déranger les amoureux mais on fait quoi pour ma galerie ? demande la taupe.

– Eh bien vous n’avez qu’à la réparer votre galerie, que voulez-vous que je vous dise ? Notre fils est un peu turbulent, mais c’est de son âge …

Justement, voilà le marcassin qui arrive en galopant, et manque d’écraser la taupe qu’il n’avait pas vue. Celle-ci se relève, lisse un peu son poil, remonte son chignon.

– Vous voyez ce que je dis ! un vaurien de petit cochon …

– Excuse-toi auprès de Madame Taupe, dit la laie à son petit.

– Mademoiselle ! précise la vieille taupe.

– Qu’est-ce que j’ai fait encore, grogne le marcassin.

– Tu as causé l’effondrement de galerie de Madame Taupe en passant dessus.

– Pardon, mais comment je sais moi où est votre galerie ?

– C’est simple, explique la taupe, lorsque tu vois un monticule de terre, c’est qu’en dessous, il y a une galerie …

Le marcassin est bien embêté. Des monticules, il y en a partout.

– Alors ça veut dire que je ne peux plus courir ?

– C’est ça, dit la Taupe, tu fais comme tout le monde, tu ne fais pas de bruit. Est-ce que tu m’entends quand je cours dans la forêt ?

– Euh non …

– Est-ce que je retourne tous les alentours quand je cherche à manger ?

– Non plus …

– Tu vois ! prends exemple sur nous les taupes et la forêt s’en portera bien mieux!

La laie n’est pas d’accord.

– Mais si nous les sangliers, n’étions pas là pour retourner la terre, vous ne pourriez pas si facilement creuser vos galeries avec vos petites pattes ridicules …

– Si mes pattes sont ridicules, alors parlons un peu de votre groin !

– Oh là là mesdames, calmons-nous intervient le sanglier une fois de plus, j’ai une idée ! Pourquoi ne pas creuser plus profondément vos galeries ? Vous seriez à l’abri des piétinements de nos sabots et des effondrements de terre …

La taupe réfléchit. Ce cochon n’est pas si bête. Elle salue la famille sanglier et repart vers son logis.

Les jours suivants, elle creuse, creuse et creuse encore jusqu’à décider que c’est assez profond pour aménager une nouvelle cuisine, une nouvelle chambre à coucher puis une nouvelle salle de bain. Elle apporte toutes ses petites affaires et s’installe.

Alors qu’elle se prépare une tarte aux vers blancs, la terre se met à trembler, trembler si fort que la pauvre taupe part se cacher sous la table.

« Ah ! se dit-elle, encore ces affreux sangliers … »

Mais rien ne se passe, la vie reprend son cours.

Alors qu’elle va pour se mettre au lit, la terre se met à gronder, gronder si fort que la pauvre taupe part se cacher sous le lit.

« C’est sûr, là ça va s’effondrer … ».

Mais toujours rien ne se passe, la vie reprend son cours.

Alors qu’elle se prélasse dans le bain, la terre se met à secouer, secouer si fort que la pauvre taupe se cache au fond de la baignoire.

« Nom d’une taupe à moustaches, ces sangliers me rendront folle … »

Mais là encore, rien ne se passe, la vie reprend son cours.

La galerie tient bon, le sanglier avait raison.

« Comme la vie est belle, se dit un matin Madame la Taupe, plus de soucis, me voici hors de danger ! Je vais aller me promener, respirer le bon air du printemps … »

Et c’est au moment où l’insouciante montre le bout de son museau, que le renard qui l’attendait, la saisit et la mange.

Ce ne sont pas toujours ceux qui font du bruit qui sont les plus à craindre!